L'Autre Monde

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"De derrière les fagots" - Chronique de Philippe Houbert

Domenico Scarlatti, Sonates pour Clavecin, par Gustav Leonhardt



1970 - DHM 05472 77235-2 [HM 417 - LP]
Clavecin : Martin Skrowroneck, Bremen 1962, d'après J.D. Dulken, Anvers 1745 
Son : A. Kring & Th Gallia 
9/8 Rép. n° 50 / 5Y Diap. n° 448 / Diap. d'or n° 387 & 4Y n° 173





Haarlem, Hollande, septembre 1978 - Séon SBK 60099 [RCA/Séon GD 7 1955 - CD / REL 30334 - LP]
Clavecin : Martin Skrowroneck, Bremen 1962, d'après J.D. Dulken, Anvers 1745
Son : Dieter Thomsen
9/8 rép. n° 18 / 5Y Diap. n° 254, 362 & 448 / 4d Compact n° 51



La triste actualité de ce début d’année a amené toutes personnes dont l’amour à l’égard de la musique composée entre 1600 et 1750 s’accompagne d’une reconnaissance éternelle à l’égard de Gustav Leonhardt à tenter de rassembler en quelques choix le legs immense du grand claveciniste, organiste et chef néerlandais. Si les monuments consacrés à Bach et au dix-septième siècle français et germanique reviennent régulièrement dans ces sélections, c’est moins le cas de deux disques enregistrés aux deux extrémités des années 1970 et consacrés à Domenico Scarlatti.

Sans prendre le risque de surestimer le choc que fut la parution du premier de ces disques (disponible aujourd’hui sous label Deutsche Harmonia Mundi), il suffit de consulter un catalogue de la revue Diapason de l’année 1971 pour se rendre compte, à la fois de la rareté des disques entièrement consacrés à Scarlatti joué au clavecin, mais aussi, pour ceux qui furent réédités ensuite en CD, de l’esthétique à laquelle certains interprètes se rattachaient. Dans le meilleur des cas, nous avions droit à de la jolie machine à coudre techniquement bien huilée, mais, de chant, de contrastes mélodiques et rythmiques, peu ou pas.

Ce fut donc certainement un grand choc, il y a plus de quarante ans,  que de découvrir cet interprète que nous assimilons aujourd’hui au monde de religion protestante proposer quelques sonates de ce napolitain exilé à la cour d’Espagne, sonates crépitantes, chantantes, dansantes, débridées. Dès la première sonate, en mi majeur K.215, Leonhardt mettait l’auditeur dans l’ambiance, avec la série de ponctuations marquées d’acciacature qui en ouvre le développement. Dans la sonate sœur suivante, K.216, c’est l’extraordinaire précision du jeu qui fait notre admiration, notamment dans un développement quasi statique basé sur le motif initial et dans lequel Leonhardt tend la ligne mélodique comme la corde d’un arc. Nous n’entrerons pas dans le moindre détail de ce disque qui marqua  un tournant indiscutable dans la discographie scarlattienne, mais il est impossible de passer sous silence la sonate en ré mineur K.52, où Leonhardt semble scanner l’écriture polyphonique, la scansion de la K.490, l’appel à la danse de la K.491, la virtuosité époustouflante du Presto de la K.492 où piétinements du pied et castagnettes semblent se donner rendez vous, et l’admirable finale de disque que constitue l’Allegro de la sonate K.309.

A cette vision fulgurante, aveuglante comme un ciel andalou de plein midi estival, accentuée par une prise de son très proche de l’instrument, copie par Martin Skowroneck d’un Dulcken de 1745, répondait près de dix ans plus tard un disque Seon, malheureusement disponible dans le  seul coffret du Jubilé rassemblé par Sony-BMG. Réalisation moins surprenante dans la mesure où la voie ouverte en 1970 avait fait nombre d’émules en une décennie, mais dont la perfection technique, secondée par une prise de son plus ample et le même instrument, n’a d’égale que la profonde poésie qui s’en dégage.